Colle back !
Prison de Melbourne, Spencer street, West Melbourne, Victoria.
Jack, appuyé contre le mur de sa cellule, regarde vers l’extérieur, une cigarette coincée entre ses lèvres. Il rêve d’évasion, de grands espaces et de liberté ! Chaque jour, Il se cale contre la fenêtre et observe les allées et venues des véhicules. Un scénario commence à germer : Il va sortir par la grande porte, au nez et à la barbe des surveillants.
Embauché à la blanchisserie, Jack mûrit son plan. Un jour, une idée lumineuse jaillit dans sa tête. Il s’empresse de contacter Lewis :
– Lewis, y a d’la glu à la menuiserie ?
– Ben oui, pourquoi ?
– Faut qu’tu piques quelques tubes… j’en ai besoin pour sortir d’ici !
Lewis le regarde stupéfait :
– C’est quoi ton plan ?
Jack jette des coups d’oeil autour de lui et murmure :
– J’vais m’coller à l’essieu du camion de blanchisserie. Ni vu, ni connu. J’serai dehors en un rien de temps. J’ai vu ça à la télé. Y a un mec qui s’est collé au plafond d’son appart !
– Tu veux combien de tubes ?
– Deux ou trois…
– J’te tiens au courant !
– J’te revaudrais ça.
Le jour J, Jack amène les chariots de linge près du camion. Tandis que les gardes procèdent aux vérifications, Jack leur fait la conversation. Soudain, il se plie en deux et demande :
– J’peux aller aux toilettes ?
Les surveillants, concentrés sur leur tâche, lui font signe de dégager. Jack contourne la camionnette et se glisse silencieusement dessous. Une subtile odeur envahit ses narines et le ramène, un bref instant, sur les genoux de son père. Jack le revoit vêtu de sa salopette bleue maculée de traces noires qui sentait l’huile et l’essence quand il rentrait du garage.
Pas de temps à perdre avec les souvenirs. Il sort les tubes de glu et enduit soigneusement sa combinaison. Puis il tire sur ses bras et se plaque contre l’essieu. Il reste ainsi un instant, sans bouger. Les bottes des surveillants claquent sur le sol et soulèvent un peu de poussière. Jack sent sa gorge picoter. Il va tousser. Il ferme les yeux et respire calmement mais les picotements persistent. Ce n’est pas le moment, pas maintenant, il est si près du but. Il se concentre sur sa respiration, les picotements disparaissent. Il se détend.
Le camion démarre. Jack est excité comme une puce. Il sera bientôt dehors ! Mais à peine a-t-il fait cent mètres que le véhicule s’arrête. Le coeur de Jack fait un bond dans sa poitrine. Il retient son souffle. Il doute, et s’il était découvert… Des voix lui parviennent. Le chauffeur discute avec les gardiens. Les minutes s’égrènent. Jack se crispe. Il s’impatiente. Le voyageur clandestin voudrait se faire la malle illico presto !
Enfin, dans un crissement de pneus, la camionnette redémarre et sort de l’enceinte. Jack retient, in extrémis, un cri de joie. Il est heureux. Il trépigne. Ses jambes le démangent. Il va retrouver sa liberté. Il voudrait déjà fouler le sol. Patience ! Au prochain arrêt, il prendra la poudre d’escampette !
Après quelques kilomètres, nouveau stop ! C’est le moment ! Jack tire sur la fermeture éclair mais elle résiste. Il essaye encore mais impossible d’ouvrir la combi. Jack s’agace et tire de plus en plus fort. Rien à faire ! Il reste collé à l’essieu, emprisonné dans sa salopette. La glu a envahi les interstices, la fermeture éclair est coincée. Il se tortille comme un ver pour s’extirper de cette enveloppe mais rien n’y fait. Quel idiot ! Jack est en colère. Son plan était parfait. Il est dehors mais enfermé dans une nouvelle prison. Il a l’impression d’être un pharaon dans son sarcophage ! Impossible de bouger, impossible de crier. Jack sert les dents. Il tourne la tête sur le côté et regarde la lumière du soleil qui filtre sous le camion. La liberté est là, à portée de main, mais lui reste collé à l’essieu. Il souffle. Il a chaud. Il transpire. La camionnette reprend de la vitesse, un peu d’air balaie son front. Les pneus accrochent la terre et une fine poussière rouge se soulève provoquant une brume autour de Jack. Il regarde la route défiler à quelques centimètres de son visage. L’asphalte est noir, brillant et légèrement gluant. Sa vue est réduite à des pneus, des trottoirs, des chaussures et des lignes blanches.
Accroché à l’essieu, il se balance de gauche à droite comme un pantin désarticulé. Il a soif. Bercé par les mouvements de la camionnette, ses paupières deviennent lourdes. Résigné, il s’enfonce lentement dans une douce torpeur. Il rêve.
Des ventilateurs tournent au-dessus de sa tête amenant un peu de fraicheur. Posée sur le zinc, une chope de bière bien fraiche sur laquelle dégoulinent quelques gouttelettes. Jack pose ses mains sur le verre et observe la mousse blanche et onctueuse, la douce couleur de miel, les bulles qui pétillent. Il porte le demi à sa bouche et les bulles s’éclatent contre son palet, libérant des arômes d’houblon et d’agrumes. Il lèche ses lèvres.
Soudain, une brusque secousse le ramène à la réalité. La bière disparait instantanément. Nids de poule, dos d’âne, le bitume a laissé place à une route caillouteuse. Il sent la chaleur du sol à travers sa combinaison et perd la notion du temps. Le soleil commence à décliner, la chaleur est moins forte. Jack a faim et a toujours soif. Il a visité toute la ville dans son ballotin de fortune.
Nouvel arrêt. Un portail grince. Les bottes noires réapparaissent. Jack soupire. Cela fait plus de neuf heures qu’il est planqué là-dessous. Il n’y tient plus. Il a une irrépressible envie d’uriner. Il hurle. Il ne manquerait plus qu’il se pisse dessus !
Les gardes, alertés par ses cris, l’extirpent de son uniforme en le tirant par le colback. Jack écope de trente jours de mitard pour tentative d’évasion !