drame - fiction sentimentale ou inspirée de faits réels

Don de soi

Temps de lecture estimé : 5 minutes

CHU d’Amiems, 6 Septembre 2012, 6 heures du matin.

Après une nouvelle douche à la Bétadine qui laisse mes cheveux et ma peau secs, l’infirmier et les brancardiers arrivent :

  • « Bonjour ! Comment allez-vous ? Vous avez pu dormir un peu ? » me demande l’infirmier avec bienveillance.
  • « Bof… La nuit a été courte ! Vous avez des nouvelles de mon mari ? Comment va t’il ? » le questionne-je avec inquiétude.
  • « Nos collègues le préparent » me repond-il patiemment. 

Il poursuit avec sollicitude :

  • « Vous êtes opérée en premier, puis ce sera le tour de votre mari vers 11h. Il sera opéré dans le bloc à côté du vôtre !  Vous êtes prête ? »

J’ai froid dans cette chemise chirurgicale. Allongée sur le brancard, je scrute le plafond et je regarde défiler les lumières blanches des interminables couloirs. Mes pensées me ramènent quelques mois en arrière.

La décision de donner un rein a été plutôt facile. J’avais eu le temps de penser à ce que je pourrais faire le moment venu. Ce don était donc une évidence pour moi. Je pouvais lui épargner, nous épargner, l’attente d’un donneur morbide, les souffrances de la dyalise et aussi lui permettre de mieux vivre avec cette maladie. De plus, la pensée de devoir attendre la mort cérébrale d’une personne pour pouvoir être greffé nous semblait aussi difficile à supporter. Malgré tout, ce n’était pas simple d’accepter un tel geste. 

Nos enfants,quant à eux, n’ont pas été surpris par cette décision. Au contraire, ils ont été nos alliés et un véritable soutien pendant toute cette période.

De longs mois d’examens médicaux m’attendaient. Dix-huit mois de stress, de doute, de peur pendant lesquels je me suis sentie comme un boxeur mis K.O. à plusieurs reprises mais qui remonte inlassablement sur le ring pour aller jusqu’au bout du combat. Ce combat nous le menions à quatre et ce don, je le faisais pour nous quatre.

Les reins de mon mari ne fonctionnaient plus depuis plusieurs mois. Voilà quatre mois qu’il était sous dyalise péritonéale. Nous vivions au rythme des bips de la machine et de la pompe qui aspirait le liquide de dyalise. Nos nuits étaient courtes, nous étions fatigués. Nous aurions tellement voulu éviter ça.

Mais voilà, quand les médecins cherchent, ils trouvent. Les examens se multipliaient et prennaient plus de temps que prévu. Je devais faire une biopsie malgré le Cross Match qui prouvait que nous étions compatibles. Les médecins n’expliquaient pas les traces de sang persistantes dans mes urines. Ils devaient s’assurer que mon rein n’avait pas de problème particulier et que je ne prenais aucun risque.

En plus des examens médicaux, je devais me rendre au tribunal pour attester que je voulais donner un organe. Le juge m’a précisé que ce don était définitif et que je ne pourrais rien demander en compensation. Puis, ce fut le rendez-vous devant le comité d’éthique qui s’assurait que je n’étais pas sous influence et que j’avais pris ma décision en pleine conscience.

Les démarches étaient longues et n’en finissaient pas. Nous avons tout affronté ensemble. C’était un vrai parcours du combattant mais c’était aussi une aventure humaine extraordinaire.

Durant cette longue période, l’acte le plus difficile psychologiquement a certainement été la rédaction de notre testament. Nous devions protéger nos enfants au cas où nous ne pourrions plus être présents pour eux. Nous devions les confier à des personnes de confiance. En rédigeant cet acte, nous prenions conscience des risques, certes limités, mais réels de cette double opération.

Arrivée au bloc, l’infirmière stoppe mes réflexions en me posant quelques questions :

  • « Bonjour Madame, vous pouvez me rappeler vos nom, prénom et date de naissance ? » 
  • « Vous savez quel rein on vous enlève ? » poursuit-elle en souriant.
  • « Le gauche » dis-je spontanément.

Installée les bras en croix dans cette salle totalement aseptisée, j’ai toujours aussi froid. Je regarde les membres de l’équipe s’agiter autour de moi et me préparer pour l’opération. Les lumières au-dessus de ma tête m’éblouissent et je ne vois que des visages masqués que je devine plein de sympathie. La tension est palpable.

Le chirurgien s’approche et me dit calmement :

  • « Tout va bien ? Dans quelques heures votre rein sera transplanté dans le corps de votre mari dans le bloc à côté. »

L’anesthésiste enchaine avec gentillesse :

  • « Dès que vous avez la tête qui tourne, vous me le dites ou vous me faites signe ! Inspirez fort dans le masque ! Ça va toujours ? »
  • « Ça commence à tourner ! » sont mes dernières paroles avant de sombrer dans le néant !
  • « Madame, Madame, réveillez-vous ? Vous m’entendez ? » lance une infirmière.

Cette voix lointaine semble venir d’un autre monde. Mon cerveau est dans une brume totale, il tourne au ralenti, mes pensées sont confuses, je ne sais pas où je suis. Je n’arrive pas à ouvrir les yeux. Tout est flou.

  • « Madame, il faut vous réveiller ! Tenez, prenez ça ! C’est la pompe à morphine ! Quand vous avez mal, appuyez fort sur le bouton ! » ajoute t’elle.

Je n’ai pas de force. Mes bras, mes mains et mes doigts sont totalement engourdis. Ils pèsent une tonne, je n’arrive pas à les remuer. Je n’ai pas d’énergie. Je suis tellement fatiguée. J’ai encore envie de dormir. Je suis à peine consciente. Quelle sensation étrange ! Je suis là sans être vraiment là.

L’infirmière me dit gentiment :

  • « L’opération s’est bien passée. Votre mari va bien, il est en salle de réveil. Nous vous donnerons plus de nouvelles lorsqu’il sera dans sa chambre. »

Je ne réalise même pas. C’est tout juste si je me souviens de l’opération.

Je flotte toute la journée dans un demi-sommeil. La douleur est là, intense, violente. J’actionne la pompe à morphine de temps en temps pour la calmer.

En fin d’après-midi, j’entends frapper à la porte. Lentement, je tourne la tête. La porte s’ouvre doucement. Mes enfants entrent accompagnés de mes parents et de ma belle mère. Alors, je ressens un immense soulagement et une profonde sérénité. Nous sommes tous réunis. Apaisée, j’ai le sentiment d’avoir accompli mon devoir, d’avoir fait quelque chose de bien.

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