drame - fiction sentimentale ou inspirée de faits réels

Etoiles rivales

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A chaque nouvelle représentation, Sergueï met sa carrière en jeu. Ivre de stress, il se précipite dans les coulisses et lance d’une voix tonitruante : « Silence ! Aujourd’hui, dernière répétition avant la première ! Vladimir, Nikolaï et tous les oligarques seront présents demain… Je ne tolérerai aucun faux-pas ! Demain nous devons briller ! Nous sommes la vitrine du Kremlin, ne l’oubliez pas ou on vous oubliera… Tatiana, tu commences. Pavel, prépare-toi ! Les autres vous suivez. »

Sergueï se tourne vers Tatiana et d’un hochement de tête, il lui fait signe de commencer.

Tous les regards se tournent vers elle admiratifs. Seule Katarina l’observe d’un œil noir.

Avec ses cheveux roux et ses yeux vert-émeraude, Tatiana incarne la beauté et la grâce. Danseuse étoile de la célèbre troupe du Bolchoï depuis deux ans, elle est sûre d’elle, de son pouvoir et de son talent. Le silence règne lorsqu’elle entre en scène. Katarina, agacée par ces sourires béats, trépigne d’impatience.

Tatiana, les pieds en cinquième position attend les premières notes du pianiste. Avec un sourire radieux, elle s’élance sur le parquet et enchaine avec légèreté les sauts, les arabesques, les tours et les pirouettes. Se Sentant admirée et enviée, elle sourit plus largement et exécute un parfait sissone arabesque. Ses jambes longues et fines forment une parfaite ligne droite, elle est aussi légère qu’une plume.

Le regard de Katarina s’assombrit, sa mâchoire se crispe.

La voix de Sergueï la tire de ses funestes pensées : « Pavel à toi ! »

Pavel, à son tour, entre sur scène. Avec Tatiana, ils forment le célèbre duo de la troupe. Ils exécutent à la perfection pirouettes et portés. Leur harmonie est telle qu’ils paraissent ne former qu’un.

Folle de jalousie, Katarina enrage : « Pavel, lâche-la ! » rugit-elle intérieurement. « Elle s’écrasera sur le sol et ne pourra plus se pavaner devant moi ! Non impossible. La carrière de Pavel serait brisée. Sergueï ne lui pardonnera jamais. Je dois trouver une solution » songe-t-elle.

Toutes les danseuses chuchotent dans les coulisses : « Ils sont tellement beaux » disent les unes. « Quelle ballerine magnifique » pensent les autres. 

Katarina fulmine : « Elles ne peuvent pas se taire. Quelle bande d’idiotes ! Cela fait des années que je m’entraine plus qu’elle. Je mérite d’être l’étoile du Bolchoï plus que toutes celles qui sont ici, plus que Tatiana. » 

Katarina pense à toutes les heures pendant lesquelles elle s’est observée dans le miroir, traquant chaque défaut, chaque faux-pas, cherchant la perfection malgré la douleur et les nausées dues aux anti-inflammatoires avalés quotidiennement. Ses pieds, couverts d’ampoules, étaient en sang mais elle continuait à s’entraîner sans relâche jusqu’à ce que l’épuisement l’oblige à s’arrêter. « Cette pimbêche n’est pas meilleure que moi. Elle n’est pas qu’une danseuse pour Sergueï, j’en suis sûre. Moi, seul mon talent me propulsera à sa place. J’aimerais qu’elle disparaisse et que son sourire s’efface » se dit-elle en serrant les dents. Un idée lui vient tout à coup : « En entant sur scène, je pourrais accidentellement percuter Pavel pendant qu’il la tient à bout de bras. Tatiana s’effondrerait sur le sol. Juste une mauvaise chute qui la tiendrait éloigner des planches. La voie serait enfin libre pour moi ! »

Sergueï la réveille brutalement : « Katarina, tu rêves ou quoi ! »

A son tour, Katarina s’élance et enchaine sauts, arabesques et jetés mais la magie ne prend pas. Sergueï hurle : « Tu peux faire mieux que ça ! Saute plus haut ! Tu manques de grâce ! Mais fais un effort nom de Dieu ! »

Katarina enrage et saute encore plus haut et plus fort. Son regard croise les yeux rieurs de Tatiana qui semblent dire : « Tu n’y arriveras pas, tu n’atteindras jamais le sommet de la gloire. Tu es trop lourde, tu manques d’élégance. »

Sous la pression, Katarina redouble d’efforts. Elle pousse encore plus sur ses jambes et oriente son saut en direction du couple. Pavel est là, devant elle, à genou tenant Tatiana à bout de bras au-dessus de sa tête. « Je n’ai que quelques secondes » pense Katarina. Elle met alors toute sa hargne et toute sa haine dans son grand jeté. Elle s’élève au-dessus des autres, tend les jambes, contracte ses muscles pour former une ligne pure. Elle a la sensation de voler. Son pied s’approche inexorablement du dos de Pavel. Elle sourit.

Soudain, Katarina se retrouve au sol. Elle a manqué sa cible. Sa tête heurte violemment l’angle de la scène. La douleur est fulgurante. Tous se précipitent autour d’elle. Elle entend un faible murmure mais elle ne voit pas le sourire de Tatiana disparaître. Elle ne distingue que les projecteurs qui s’éteignent lentement laissant son rêve s’envoler…

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