Fantastique - Fantasy - Science fiction

La pierre de Kjula

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Ragnar, sanguinaire guerrier viking, saisit brutalement son fils, Knut, et lui dit d’une voix rauque tout en fronçant ses sourcils broussailleux : 

«Le souffle de la vie me quitte. Il ne me reste que quelques jours. Le monde des morts m’attend mais je refuse d’entrer à Helheim.

– Que puis-je faire pour toi ? demande Knut désemparé.

– Je veux aller au Valhalla, paradis des guerriers morts au combat.

– Tu as ravagé des peuples et massacrés des ennemis. Tu as violemment combattu pour la gloire d’Odin. Ta place est  acquise ! répond Knut surpris par les propos de son père.

– Non ! Toi seul peux encore gagner ma place au Valhalla. Tu dois trouver la Pierre de Kjula qui raconte l’histoire des héroïques guerriers vikings et tu la remettras à Odin, le Dieu des Dieux !

– Mais où est-elle ?

– Tu la trouveras au milieu des mégalithes d’Ales Stenar au sud de la Suède. La pierre sacrée est bien protégée. Ta quête sera difficile….soupire Ragnar

– Père, je te promets solennellement de ramener à Odin la Pierre de Kjula ! déclare Knut avec détermination.

– Prends ce Nazar Boncuk. Il te protègera et repoussera le mauvais sort» souffle Ragnar à bout de force en lui tendant le talisman de verre bleu en forme d’œil.

Quelques jours plus tard, Knut monte à bord de son drakkar, hisse l’immense voile blanche et rouge, oriente la tête de dragon en direction du Sud et entonne le chant guerrier pour se donner force et courage. Ragnar le regarde s’éloigner en murmurant : «Que les Dieux te protègent !»

Dans un bruissement d’ailes, deux imposants corbeaux, symboles de sagesse et de courage, survolent le vaisseau et partent vers le large. Knut les observe, il sait qu’Odin sera prévenu de son départ.

Malgré un épais brouillard, les premiers milles se passent sans encombre mais Knut reste vigilant. Tôt ou tard, Hel se déchainera…

Brusquement, le drakkar est soulevé par une force puissante et invisible. Il se détache de l’eau et flotte dans les airs. Knut paniqué regarde à droite, puis à gauche. Les rameurs s’affolent. Knut tente de les calmer et crie : « Ne relâchez pas vos efforts, continuez à ramer ! ». Soudain, le navire chute et s’écrase sur la mer dans un craquement effroyable.  Un serpent géant surgit. Son regard est terrifiant, il est hideux et effrayant. 

«C’est Jörmungand ! Son venin est mortel» pense Knut terrorisé.

Le serpent géant entame une danse hypnotique. Ses yeux rouges et noirs tournoient lentement en fixant les guerriers envoutés. Knut élève la voix et ordonne :«Baissez les yeux ! Ne le regardez pas ou nous sommes tous perdus !» 

La tête des matelots dodeline au rythme du serpent qui continue sa sérénade. L’équipage est sous le contrôle de l’abominable bête qui s’allonge encore et s’élève au-dessus du pont. D’un mouvement rapide, l’effroyable animal penche la tête en avant, et dans un sifflement strident, fait sortir sa monstrueuse langue verte prête à cracher le venin. Knut se saisit d’un grand bouclier doré et le soulève pour se protéger. Le venin le percute et est renvoyé, par ricochet, sur le serpent géant qui s’effondre. Mais l’horrible bête se redresse. Son regard est vrillé par la haine. Ses forces se décuplent, sa taille devient colossale et sa fureur explose. Il domine Knut et son équipage. Les hommes sont tétanisés par la peur. D’une brusque ondulation, l’animal provoque un immense raz-de-marée qui submerge le drakkar et le fait tanguer dangereusement. Le vaisseau commence à chavirer. La panique s’empare des guerriers. La rage envahit Knut qui saisit une gigantesque lance. Porté par sa hargne et son courage, il part à l’assaut du monstre. D’un bond puissant, il atteint la tête et plante violemment sa lance entre les yeux de Jörmungand qui est terrassé. 

Devant le cadavre, Knut pousse un soupir de soulagement conscient qu’il n’aura peut-être pas autant de chance la prochaine fois.

Il se remet tout juste de ce combat lorsque survient une magnifique femme à la longue chevelure rousse légèrement ondulée, au visage fin et délicat et aux yeux en amande d’un intense vert émeraude.

« Knut, tu viens de terrasser Jörmungand, mon frère. Tu es rusé et malin mais je ne te laisserai pas ramener la Pierre de Kjula. Je veux le célèbre guerrier Ragnar à Helheim.» dit-elle d’une voix enjôleuse.

Knut réalise qu’il est face à Hel, la gardienne du monde des morts. Sensuelle et envoutante, elle entame un chant de sirène. Les yeux rivés sur la fabuleuse déesse, il avance d’un pas hésitant. Son cœur bat la chamade, l’amour le surprend. Il est totalement séduit. Il s’éloigne du drakkar porté par ses sentiments et se rapproche implacablement du monde d’Hel. Encore quelques pas et il ne sera plus libre de ses mouvements. Le regard intensément vert d’Hel le scrute. Elle lui sourit. Ses lèvres d’un rouge velouté appellent un baiser. Il est prêt à abandonner sa quête pour tenir cette exceptionnelle beauté dans ses bras. Il ne peut pas lui résister. Sa volonté s’envole, il est à sa merci.

Soudain, la voix de son père résonne comme un écho « N’oublie pas la pierre de Kjula… » Il s’arrête. Il hésite. Il a promis…

Tout à ses pensées, il baisse les yeux et perçoit son visage dans les eaux devenues calmes. Dans le reflet, apparaît un mort-vivant. Knut sursaute et fait un pas en arrière. Le charme est rompu.

Furieuse, Hel tourne sauvagement la tête laissant apparaître la moitié morte de son visage. Un rire démoniaque s’échappe de sa bouche et elle se volatilise dans un nuage de fumée.

Knut frisonne, il a failli tout abandonner. Il serre avec force le Nazar Boncuk. Désorienté, il lève les yeux vers le ciel sombre qui s’illumine de voiles délicatement colorés d’un vert lumineux. Désormais escorté par l’âme des morts du Valhalla, Knut est rassuré : il ramènera à Odin la Pierre de Kjula.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *