Ma première gorgée de bière
D’un regard, je jauge, j’évalue, j’observe celle qui d’une promesse m’apportera l’allégresse et non pas l’ivresse : blanche, blonde, brune ou rousse à chacune sa finesse. Ce cérémonial, prélude à l’enchantement, fera naître ma madeleine de Proust, un rituel de sagesse et d’attente qui rendra la dégustation plus savoureuse.
Avec avidité, je les contemple puis je les caresse langoureusement. Je n’ai que l’embarras du choix :
- la blanche, avec sa robe légère et délicate, toute en transparence, m’inspire des instants divins,
- la blonde, avec sa couleur miel doré, limpide et lumineuse, me promet sensualité et volupté,
- la brune, avec ses teintes acajou, me suggère un plaisir tout en rondeur,
- la rousse, cuivrée et chaude, me prédit des secondes sauvages et fougueuses.
A l’ouverture de la bouteille, survient le pschitt accompagné du doux crépitement du liquide que je verse délicatement et qui laisse s’échapper des milliers de petites bulles pétillantes et brillantes. Puis, lentement se forme une mousse crémeuse et onctueuse au subtil reflet d’ivoire qui annonce un plaisir qui s’ouvre à l’infini. Je ferme les yeux pour m’imprégner de cet instant, je résiste à la tentation. Patienter rendra cette première gorgée encore plus succulente.
J’hume le breuvage aux notes florales, épicées ou fruitées qui capture mes sens. Des senteurs d’agrume, de banane, de caramel ou de cacao titillent mes papilles et attisent mon désir. Je ne rêve que de plonger mes lèvres dans ce liquide parfumé et de les lécher avec délice pour effacer les fines traces laissées par la mousse moelleuse. Je prolonge encore l’attente et j’imagine le sentiment d’extase que j’éprouverai après avoir avalé cette première gorgée.
Je cède. Je porte le verre frais à ma bouche et j’aspire une petite gorgée : ni trop, ni trop peu, juste une amorce idéale pour un bien-être immédiat. Doucement, je la fais rouler dans ma cavité buccale pour qu’elle entre en contact avec ma langue et mon palais. Je laisse se diffuser toutes les saveurs sucrées et acidulées. Je savoure le miracle qui se produit. Cette première gorgée met mes cinq sens en éveil et me promet monts et merveilles. Lentement, je repose mon verre sur le petit carré buvardeux. D’un claquement de langue ponctué d’un soupir, je me délecte de ce bonheur intense et amer.
J’aime sentir le liquide frais qui glisse lentement le long de ma gorge jusqu’à mon estomac. Je prends alors une seconde gorgée, prolongement de la première, mais l’extase se dissipe. À la troisième, la magie se perd. Le verre se réchauffe, les sens s’engourdissent et les saveurs s’évaporent. La première gorgée est la seule qui compte. Les autres ne sont qu’une pâle copie au goût ordinaire et à l’empâtement tiédasse.