Polar

Meurtre à Stockholm

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L’inspecteur, Lars Winclair, les cheveux hirsutes légèrement gras, la bouche pâteuse et l’œil encore embué de sommeil, monte dans sa vieille Volvo et allume la radio. La voix nasillarde du journaliste annonce : « le corps du richissime homme d’affaires, Robin Larson, a été retrouvé ce matin dans le parc de Djurgarden à Stockholm. Il semblerait que… »

D’un geste sec, l’inspecteur éteint la radio et descend de sa voiture en maugréant :

– Foutus journalistes !

Il rejoint son adjoint, Magnus Lindbergh qui lui indique l’endroit où se trouve la victime. L’inspecteur s’approche d’un pas chaloupé tout en resserrant sa gabardine pour se protéger de la pluie et du vent glacial de l’hiver. Magnus s’est habitué à cet homme taiseux et taciturne.

– L’homme a été mutilé, l’informe son adjoint, et son corps a été lacéré à plusieurs endroits.

Puis, il ajoute :

– Les coups ont été portés à l’aide d’un objet tranchant avec une fine lame. L’homme est mort entre minuit et deux heures.

L’inspecteur Winclair s’approche du cadavre. Il s’accroupit, sort son dictaphone et, d’une voix rendue rauque par l’abus de whisky, il enregistre ses premières constatations :

– Trace de rouge à lèvres sur le col de la chemise. Boucle d’oreille dans la main droite. Griffures dans le cou. Une quinzaine de lacérations sur le torse.

– Hier soir, il était à l’ambassade de France en compagnie de son épouse, Lisbet, précise Magnus. Selon plusieurs témoins, elle est repartie avec le chauffeur après une altercation avec une invitée.

Quelques heures plus tard, les deux hommes se garent devant le somptueux pavillon de la famille Larson. Ils sonnent. La porte s’ouvre sur une femme d’une quarantaine d’années à la chevelure auburn et aux yeux verts. Après les présentations d’usage, Winclair se racle la gorge et lui annonce que le corps de son mari a été retrouvé, ce matin, dans le parc Djurgarden. Sous le choc de la nouvelle, Lisbet regarde, tour à tour, l’inspecteur et son adjoint, et s’affale sur l’immense sofa en cuir blanc.

– Que s’est-il passé ? bredouille-t-elle.

– L’enquête ne fait que commencer, répond laconiquement Lars. Nous avons quelques questions, ajoute-t-il.

Il se lève et commence son interrogatoire en déambulant dans le salon. 

Lisbet est nerveuse. Elle serre fortement ses mains l’une contre l’autre et fixe ses doigts. Lars, tout en l’interrogeant, détaille la pièce : aux murs des tableaux de Klimt, une grande bibliothèque recouverte de livres de collection, un bureau en acajou sur lequel se trouvent des lettres éparpillées, un porte-documents, un sous-main, un ordinateur, un coupe-papier, des stylos…

Lentement, il contourne le canapé, s’assoit dans un fauteuil face à Lisbet et lui demande :

– Votre mari avait-il des ennemis ? Avait-il reçu des menaces ?

Elle secoue la tête en signe de négation et murmure :

– Si vous avez terminé, j’aimerai rester seule.

De retour au commissariat, Winclair fait le point : l’homme d’affaires multiplie les conquêtes et il a de nombreux ennemis. Ses affaires frôlent l’illégalité. Lisbet a eu une altercation avec la dernière maitresse de Robin, Maja. L’assassin s’est acharné, il a perdu le contrôle, sa colère a explosé. C’est un crime plein de rage et de haine. Tout en sirotant un verre de Jack Daniels, l’inspecteur feuillette distraitement le journal. Une photo de Robin et Lisbet illustre un article sur le crime. Lars la regarde attentivement : Lisbet affiche un sourire de convenance. Elle porte une longue robe fourreau noire et quelques bijoux. Elle tient le bras de son mari qui, lui, est radieux. Il a un charisme époustouflant. Derrière le couple se tient une jeune femme qui les regarde d’un air haineux. Lars saisit une loupe et constate qu’elle porte les mêmes boucles d’oreille que celle retrouvée ce matin. Il appelle Magnus et lui montre la photo tout en lui demandant :

– On a reçu le rapport d’autopsie ?

– À l’instant, répond Magnus en décachetant l’enveloppe.

Les deux hommes se penchent sur le compte-rendu du légiste : « Des cheveux appartenant à deux femmes ont été retrouvés sur les vêtements de la victime et une trace de rouge à lèvres était présente sur sa chemise. Plusieurs griffures peu profondes ont été constatées sur le visage et sur le cou de Robin Larson. Enfin, les lacérations ont vraisemblablement été causées par une fine lame comme un coupe-papier »

L’inspecteur se passe la main dans les cheveux et déclare : 

– Nous avons deux suspectes ! 

Quelques heures plus tard, Lars et Magnus commencent les interrogatoires. C’est cet instant que Lars préfère, le moment où le suspect va faire ses aveux. Rapidement, il écarte Maja qui avait un alibi pour la fin de la soirée. Il se concentre alors sur Lisbet et joue la carte de la franchise :

– Madame Larson, votre mari a très certainement été tué à l’aide d’un coupe-papier, dit-il en insistant fortement sur le dernier mot. 

Il marque une pause et fixe intensément Lisbet : ses yeux se voilent d’effroi, la panique la saisit, ses joues rougissent.

– Nous avons trouvé un coupe-papier sur le bureau de votre salon, renchérit-il.

De nouveau, il marque une pause et observe Lisbet : ses épaules s’affaissent, ses mains tremblent, son visage se crispe. Elle est en train de céder. Dans un mouvement fier, elle relève le menton et dévoile :

– Durant toutes ces années, j’ai subi ses coups, ses insultes, ses adultères, sa manipulation, sa perversité. Tous les prétextes étaient bons pour m’humilier. Je vivais dans une cage dorée.

Elle se calme, reprend son souffle et poursuit :

– Ce soir, Maja m’a annoncé qu’elle attendait un enfant et que Robin allait l’épouser. J’étais soulagée, mais lorsqu’il est rentré, il m’a dit avec mépris : « tu n’as même pas été capable de me donner un enfant.» 

Elle soupire et précise :

– J’ai été enceinte. Lorsqu’il l’a su, il m’a frappée et m’a obligée à avorter.

À ce souvenir, une larme roule sur sa joue. Elle l’essuie machinalement et murmure :

– Je voulais en finir avec tout ça et retrouver ma liberté.

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