Polar

Repose en paix

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Jean s’installe confortablement dans son fauteuil en cuir marron élimé par le temps. Il allume la télévision et cherche la chaîne d’information en continu.

La journaliste annonce « Julie, jeune femme de 33 ans, blonde, les cheveux courts, environ 1 mètre 60 a disparu depuis 48 heures. La police lance un appel à témoins (…) »

« Tu entends ça » dit Jean, « encore un kidnapping ! »

La journaliste poursuit « (…) Julie aurait été vue près du Manneken Pis en compagnie d’un homme entre 30 et 40 ans, grand, blond, les yeux clairs. La police tente d’établir un portrait-robot (…) »

Jean se concentre un peu plus sur l’écran tout en allumant une cigarette et en sirotant une bière.

« (…) Sur toutes les lèvres la même question » renchérit la journaliste « est-ce encore une victime du tueur aux 100 francs belges ? (…) »

Jean, les yeux rivés sur l’écran, interpelle sa compagne : « Tu te souviens de notre première rencontre ? Tu étais accompagnée de tes amis et tout en regardant le Manneken Pis, tu as éclaté de rire. Ce rire de gorge profonde m’a tout de suite séduit. Tu dégageais tant d’assurance et de confiance. Tu observais la petite statue avec un air de dédain. Tu semblais le trouver ridicule. Je me suis lentement approché de toi et je t’ai chuchoté quelques mots à l’oreille. Tu as senti mon souffle chaud dans ton cou, tu t’es lentement retournée et tu m’as longuement observé avec tes yeux rieurs et légèrement méprisants. C’est à ce moment-là que j’ai su que tu étais celle que je cherchais depuis si longtemps (…) »

La journaliste continue à relater les derniers évènements « (…) On vient d’apprendre à l’instant qu’une nouvelle victime a été découverte (…) »

Jean poursuit « En fait, je t’avais repérée depuis quelques jours. Évidemment, tu n’avais pas eu un regard pour moi. Tu étais centrée sur ta petite personne. Alors je n’ai eu qu’une envie : attirer ton attention et te séduire. Je sentais que tu serais la source d’un plaisir intense… »

La journaliste énumère le nom des victimes « Alice, Eva, Louise, Lucie, Lola, Camille… les enquêteurs semblent dans une impasse. Le tueur ne laisse aucune empreinte. (…) »

Jean boit une gorgée, tire une taffe et revient à ses souvenirs tout en fixant le téléviseur et dit, comme s’il se parlait à lui-même : « Les autres n’étaient qu’un coup d’essai. »

Une nouvelle gorgée, une nouvelle taffe, Jean s’avance plus près de l’écran et regarde tous ces visages. Soudain, il se retourne et dit avec un rire démoniaque « Ah ! Si tu savais comme j’ai aimé voir ton rictus de dédain s’effacer lorsque j’ai mis mon pied sur ta nuque. Tu essayais de relever la tête, tu luttais contre mon poids. Ton regard s’est transformé. D’abord, l’incompréhension, puis la sidération et enfin l’effroi ont défilé sur tes traits. Tu me suppliais d’arrêter mais je venais juste de commencer. »

La journaliste insiste « (…) Aucune trace de violence sexuelle n’a été relevée sur le corps des victimes (…) »

Jean poursuit son histoire «  Quand je t’ai aidée à te relever, l’espoir est revenu sur ton visage. Je t’ai installée sur une chaise. Je t’ai ligotée. Tu ne devais pas bouger ni t’échapper, tu comprends n’est-ce-pas ? Si tu bougeais, je risquais de te faire mal. Ton corps devait garder en mémoire notre rencontre. »

La journaliste, d’un ton monocorde, explique « les victimes sont retrouvées enveloppées dans une housse blanche (…) »

Jean, d’une voix douce, se remémore « J’ai tatoué mon prénom sur ta poitrine. De belles gouttelettes de sang rouge-carmin sont apparues tandis que la douleur crispait ta mâchoire. Tu étais si belle ! Tu dépassais toutes mes espérances. J’ai longuement caressé ton visage pour apaiser ta souffrance. Je t’ai observée tendrement, je voulais graver chaque instant dans ma mémoire. »

À la télévision, la journaliste transmet le compte-rendu macabre « (…) Au niveau du cœur des victimes, un prénom semble avoir été inscrit à l’aide d’un objet pointu qui pourrait être un clou (…) »

Jean enchaine « Mais toi tu ne voulais pas profiter de cet instant. Non ! De ta voix stridente et aigue, tu me suppliais d’arrêter. Je ne supportais pas de t’entendre te plaindre. Il fallait que tu te taises. Alors je t’ai giflée. Une énorme marque rouge est apparue sur ta joue et ta tête a heurté l’angle de la chaise laissant une autre marque sur ta tempe. C’était de ta faute, tu aurais du te taire ! Je ne voulais pas te brusquer, je voulais prendre mon temps. »

Jean regarde à nouveau l’écran et entend la journaliste conclure « La police scientifique tente d’établir le profil du tueur. Une conférence de presse est prévue à 16 heures (…) »

Puis, il replonge dans ses souvenirs « Je me suis allongé sur le lit près de toi. Je voulais sentir la chaleur de ton corps encore quelques instants. Avec mon cutter, j’ai tracé des lignes sur tes poignets. Petit à petit le sang a coulé. J’ai appuyé un peu plus fort. Ton corps se tordait de douleur et d’angoisse. Comme tu étais belle ! Je lisais la frayeur sur ton visage. Plus de mépris, plus de dédain, juste de la peur. L’écoulement lent de ton sang était magnifique. J’exultais devant ce spectacle. Ton corps convulsait, de petits spasmes puis d’autres plus grands. Tes yeux se vidaient de toute vie. Ta peau blanchissait. Tu étais magnifique. Quand ton cœur a cessé de battre, j’ai regardé mon chronomètre : 2h30 d’agonie ! Tu ne m’as pas déçu, tu as été sublime. »

Progressivement, Jean revient à la réalité « Maintenant, il est temps que tu partes. »

Calmement, il prend une enveloppe dans laquelle il glisse un billet de 100 francs belges. Puis, avec son stylo plume, il écrit avec application : Julie. Avec précaution, il referme la housse blanche sur le corps de Julie et la dépose dans le coffre de sa voiture.

Arrivé au Bois de la Cambre, il l’allonge sous un arbre pour que les feuilles soulevées par le vent la bercent doucement.

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