drame - fiction sentimentale ou inspirée de faits réels

Quoi qu’il en coûte !

Temps de lecture estimé : 4 minutes

– 2000 dollars par personne ! 

– Même pour les enfants ? tente de négocier Youssef.

Hakim, le passeur, hausse un sourcil et ajoute d’un ton irrité :

– On embarque dans dix jours. Un sac par personne. On s’occupe du reste !

Youssef, tourmenté et nerveux, le regarde s’éloigner. Peut-il faire confiance à cet homme ? 

En rentrant chez lui, Leïla, impatiente, l’interroge. Youssef lui annonce sans attendre le prix de leur traversée.

– Toutes nos économies vont y passer ! s’offusque-t-elle soucieuse.

– A-t-on vraiment le choix ? Ici, c’est le chaos. On vit dans la misère. On a à peine de quoi se nourrir. On n’a plus d’espoir. On sera plus heureux en Europe. Fuir est la meilleure solution, quel qu’en soit le prix, essaie de la rassurer Youssef en la serrant tendrement dans ses bras.

Dix jours plus tard, Youssef et sa famille arrivent au point de rendez-vous. Hakim s’approche d’eux d’un pas traînant et tend la main.

Youssef lui remet une enveloppe. A l’intérieur, 6000 dollars, le prix d’une vie meilleure.

Hakim jette un rapide coup d’oeil sur les billets et fait signe à Youssef d’avancer vers l’embarcation.

Plusieurs centaines de personnes se pressent autour d’un vieux rafiot en bois. Youssef est pris de panique. Impossible de voyager là-dedans ! Ils n’arriveront jamais en Italie. Pourtant, tout le monde se bouscule pour embarquer. 

La mer calme et lisse est éclairée par la lune. Youssef lève les yeux vers le ciel dans une supplique muette. Puis, il prend la main de Leïla, attrape Ahmed et monte à bord. 

Deux individus s’approchent et leur donnent quelques gilets de sauvetage. Les hommes s’installent sur les bords, les femmes s’assoient au centre avec les enfants. Le bateau prend le large. 

Youssef observe Leïla. Une larme brille au coin de ses yeux. Elle regarde la plage. Ils savent tous les deux qu’ils ne reviendront pas et qu’ils laissent derrière eux leur famille, leurs amis, leur pays, la misère.

Plusieurs heures passent. La faim se fait sentir. Il n’y a rien à bord. Juste quelques gourdes pour étancher la soif. Les enfants, bercés par les vagues, se sont endormis. Le silence règne. Tous sont sur le qui-vive. La peur les oppresse. Peur de mourir. Peur d’être renvoyé dans leur pays. Peur de ne pas arriver en Europe. Peur de l’avenir…

L’embarcation entre dans une zone dangereuse, un étroit passage parsemés de rochers et soumis aux vents violents. Déjà, l’air est plus frais. La houle est plus forte. Le bateau tangue. Les enfants se réveillent, certains sanglotent, d’autres se cachent contre leur mère. Les hommes s’accrochent sur le bord pour ne pas tomber. Tous retiennent leur souffle sous l’effet des rafales de vents. Les vagues se creusent. Elles heurtent le rafiot avec fracas et s’abattent sur les corps terrorisés. Le canot se remplit d’eau. Le bois craque. Les hommes s’agrippent les uns aux autres. Les enfants crient. Les femmes pleurent et prient en se balançant dans un lent mouvement d’avant en arrière. Combien de temps vont-ils tenir ?

« C’était mon idée de quitter le pays. Je n’aurais pas dû faire confiance à cet homme. On va tous périr en pleine mer. » se repent Youssef désemparé.

Alors, pour éviter de sombrer, il se cramponne à ses rêves.

Le tempête redouble de violence. Dans un terrifiant craquement, le bateau se cabre et se cambre comme un cheval en plein rodéo. Des cris déchirent la nuit. Des hommes sont projetés dans la mer déchainée. Des bras se tendent pour les secourir. Quelques rescapés parviennent à s’accrocher ; les autres sont engloutis par les flots.

Enfin, le bruit d’un moteur. Des hommes se lèvent et agitent les bras pour faire signe aux secours. 

– Les femmes et les enfants d’abord ! ordonne une voix tout en distribuant des gilets de sauvetage. 

Les enfants, amorphes, passent de main en main et sont hissés à bord. Les femmes, exténuées et effrayées, sont tirées hors du rafiot. Les hommes, fourbus et anéantis, prennent place dans un canot. 

Quelques minutes plus tard, Les navires accostent enfin. Les passagers clandestins descendent à terre. Ils sont vivants et pleins d’espoir.  

Leïla, soulagée, serre Ahmed et cherche Youssef. Personne ! Elle parcourt la plage en criant son nom. Elle lutte pour ne pas s’écrouler. Elle tombe et se relève en titubant. Elle balaye la plage d’un regard éperdu. Enfin, un corps. Elle sourit. C’est Youssef, elle en est sûre.

Elle se précipite et s’agenouille près de lui. Elle passe sa main sur le doux visage hâlé et apaisé. Elle lui parle doucement mais il ne réagit pas. Il est froid.

Fracassant le silence pesant, un cri strident et désespéré s’élève au-dessus le la plage.

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